Avant les Geishas, il y avait les Oiran

22 Nov 2019


Si les geishas sont désormais symboles de savoir faire et d’élégance, elles sont en vérité devenues populaires pour l’inverse, c’est à dire pour être moins raffinées, portant des vêtements et ornements moins ostentatoires et donc pratiquant des prix moins chers que leurs consoeurs de l’époque, les Oiran.

Ces dernières apparurent au début de l’ère Edo, au XVIIème siècle, quand il fût décidé que les quartiers des plaisirs devraient être éloignés des villes, emmurés pour délimiter leur existence. Très vite s’y développa une culture propre à ces lieux qui, coupés de l’évolution de la ville, les femmes y travaillant ne pouvant notamment ni en sortir ni s’en échapper, imitait la cour de l’époque de manière décadente, et proposait toutes sortes de divertissements en plus de ceux des plaisirs de la chaire. 
Yoshiwara, le quartier des plaisirs de Tokyo, vers 1872
 
Dans ces fameux quartiers appelés yūkaku, une forte hiérarchie était alors en place; les “simples” prostituées étant mise en vitrine, au rez de chaussée des maisons pour que les clients puissent les choisir facilement. Mais les Oiran, étant au sommet de cette pyramide, n’étaient en général disponible que sur rendez-vous et se permettaient même de refuser certains clients. De plus en plus riches, de plus en plus renommées et de plus en plus en vogue, les Oiran développèrent un style vestimentaire flamboyant allié à un langage de cour qui ne se parlait parfois même plus en ville. Véritables artistes polymorphes, on attendait d’elles qu’elles fussent autant capables dans l'art de l'Ikebana (composition florale traditionnelle) qu’en cérémonie du thé ou encore en calligraphie, jouer de la musique étant bien sûr une qualité supplémentaire très appréciée.
Une "vitrine" à Yoshiwara

Réputées à travers le pays pour leur beauté, leur extravagance et leur goût, il était organisé chaque année un festival à différents endroits, nommé Oiran Dochu, que l’on pourrait aujourd’hui presque qualifier de défilé durant lequel elles exécutaient une marche lente et performative en traversant la ville, suivies de leurs servantes appelées kamuro. Ces évènements étaient largement regardés et participaient notamment à définir la mode et le bon goût de l’époque. Aujourd’hui encore, on trouve quelques festivals reproduisant cette marche à travers le Japon, l’un des plus célèbres étant celui de Tsubame, dans la préfecture de Niigata, mais aussi dans la grande ville de Nagoya ou encore à Tokyo.
Oiran Dochu à Susukino ©Miki Yoshihito sous licence CC 2.0
 
Aussi romanesque que leur histoire puisse paraître jusqu’ici, leur déclin, annoncé par la montée en popularité des geishas moins chères et donc plus accessibles, mais aussi habillées de façons plus simples et correspondant donc mieux à l’évolution des goûts japonais de l’époque, fût tout aussi dramatique que leur histoire. Parmi ces fameux quartiers des plaisirs, l’un des plus célèbres était sans étonnement celui de Tokyo, appelait Yoshiwara. De même que les autres quartiers des plaisirs, ce dernier était délimité par des murailles qui en limitait l’accès, et rendait presque impossible de s’en échapper.
Or, en 1923, lors du grand tremblement de terre du Kanto, un incendie se déclara, provoquant la mort d’un grand nombre des travailleurs de Yoshiwara et ravageant presque entièrement le lieu, la porte du quartier ne s’étant ouverte que trop tard et rendant presque impossible de réussir à s’enfuir.  Malgré cela, et bien que les geishas soient entre temps devenues bien plus populaires que les Oiran, elles continuèrent d’exercer jusque dans les années 50, bien que leur luxurieuse toilette soit devenue assez mal vu avec la misère qui accompagna l’après guerre.
Mais les régulations sur la prostitution des années 50 finirent d’éteindre leur art, signant la fin d’une culture mourante depuis bien longtemps déjà, et qui avait quelques centaines d’années d’histoire.
Les Oiran, et notamment le quartier de Yoshiwara firent évidemment fleurir l’imaginaire contemporain puisqu’on trouve de nombreux films y faisant référence comme celui du célèbre réalisateur japonais Kenji Mizoguchi, La rue de la honte (1956) qui se situe à la toute fin de l’activité du quartier, pendant que le gouvernement débat du statut de la prostitution, ou encore Tokyo Bordello (1987) et plus récemment Sakuran (2007), qui décrit l'ascension d’une jeune fille vendue par son père au quartier des plaisirs et qui progressivement deviendra une très respectée Oiran. De bonnes références pour tous ceux qui voudraient en savoir plus sur les Oiran ou Yoshiwara!
Machiko Kyo dans La Rue de la Honte ©sous licence CC 2.0